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Titre du blog : Et si Amour me veut faire mourrir en aimant..
Auteur : thyrana
Date de création : 21-01-2006
 
posté le 30-01-2006 à 23:08:21

Une journée terrible.

Une journée de contraste et d'effroi.

 

D'abord la sortie, anodine: "on va où ?", "on fait quoi ?", "ca ne va pas durer longtemps". On y va sans vraiment y penser, comme si on ne savait pas vraiment où on allait. On y va comme si on allait lui rendre visite dans son appartement, c'est horrible, c'est ce que j'ai ressenti...

 

Et puis il y a le portail, ce moment irréél où on passe, sans le savoir, d'un monde à l'Autre.

 

Au devant du portail, un plan : des allées, des avenues, des boulevards, des numéros de quartiers, des lettres pour désigner les directions, des noms donnés aux routes... Tout est perpendiculaire, tout est parallèle... comme un plan de ville.. la ville des muets, la ville des morts. On pourrait nommer Saint Pierre comme on nomme Gap, Toulon, Brignoles, Quimper...

 

L'itinéraire est là. Droit devant, à gauche puis au fond de la rue, qui descend... direction : la fosse commune. On passe devant des tombeaux de marbre avec des écritures d'or et d'argent. Des familles sont là. Sans le savoir, on parcourt des monceaux d'histoires, de vies, de disputes, de passé. On les parcourt sans les regarder, par pudeur sûrement, par peur sans doute, parceque nous avons un objectif et que nous avons honte de considérer que les noms sur les tombeaux de ces personnes sont autant de X dans nos têtes et que de toutes facon, nous ne sommes pas là pour eux.

 

On arrive devant "le quartier 50" celui des fosses communes. Aucun autre quartier ne représente mieux la Mort que celui-ci : c'est un vide, un creux, au milieu de tout ces tombeaux garnis de fleurs et de marbre. Ici, il n'y a nul apparat, nulle stelle sculptée. Ces gens là n'ont pas l'air important, ces gens là sont oubliés. Pourtant, notre vision est hypocrite : l'entrée dans Saint Pierre marque l'oubli pour n'importe quel corps... qu'il soit dans un drap, dans un tombeaux de bois de chêne ou dans une urne, le corps reste le même, il se décompose de la même facon et ils seront tous oubliés, au fur et à mesure des générations... au fur et à mesure que l'humanité avance...

Dans ce creux de terre battue, quelques croix sont élevées en dernier signe de respect, de dignité... se soucie-t-on de savoir si ceux-ci était croyants, athées, catholiques, protestants ? non, bien peu. On met une croix, c'est tout. On en met une par rangée, certaines rangées n'en n'ont aucune. Cela accentue encore cette impression de vide, le malheur dans le malheur... c'était des hommes, ce n'est que de la terre.

Ne prenez pas cela comme une désignation accusatrice des autorités municipales. Lorsqu'il n'y a pas de famille, personne pour assurer la pérennité de leurs voyages, il faut bien les mettre de coté, les intégrer au monde du silence avec des moyens de fortune, même s'ils sont restreints.

 

On s'approche des rangées. Elles sont alignées, parfaitement symétriques... pour gagner de la place, c'est un bon travail comme dirait certain. L'industrie de la mort, on croyait qu'elle avait apparut et disparu en 1945, elle est encore là, sous une autre forme.. plus humaine peut être. 

Les tombes sont nues.

Les corps sont juste recouverts de terre et adopte la forme parfaite de l'homme enseveli. Nous avons parcouru une terre de monticules où chaque sommet représentait une vie oubliée, une vie qui ne compte plus pour personne. A la base de ceux-ci, heureusement, des noms, des dates... naissance-mort... sur un petit bout de bois parfois mal enfoncé dans le sol et qui avait souvent tendance à vaciller.

La première question qui m'est venue : "Ce ne sont pas eux là comme ca ?" C'est drôle, quand on passe devant les stelles et les tombeaux richement vêtus, on croit qu'ils ne sont pas en dessous, qu'ils ne sont pas là. C'est ici que la réalité nous heurte en pleine visage et nous rappelle notre triste condition, nous rappelle que le compte à rebours a déjà commencé... et qu'il s'arrêtera un jour prochain, pour nous comme pour eux, comme pour lui.

 

Lui. On l'a trouvé. Première rangée, troisième nom au fond. Il était là. Je l'avais vu, lui avait serré la main et me passionnait pour ses histoires de trésors et de devinettes géométriques et mathématiques (moi qui adore ca...)... et maintenant il était devant moi, par terre, son nom sur un bout de bois. Son nom sonnait encore à l'image de l'ami qu'on va voir pour se détendre, avec qui on se rappelle les bons moments du passé. Certes, je parle ici un peu au nom de mon père... mon passé avec lui n'a pas duré bien longtemps.

Je n'avais jamais vu mon père comme ca. Il s'est agenouillé devant sa tombe, a posé des fleurs en creusant sur le sol avec ses mains, a enfoncé le bout de bois dans le sol pour qu'il tienne mieux et est resté accroupi un instant.

Ma soeur et moi, nous savions qu'il pleurait. Nous ne savions que faire. Pouvions-nous pénétrer entre les tombes de terres battues ? Avions-nous le droit de nous y recueillir ? Que faire de plus alors, même si nous parvenions à atteindre notre père ?

J'y suis allé. Pour mon père, pour mon copain, pour son copain, parceque je l'ai apprécié. Pourtant je ne me sentais pas à l'aise :. Derrière moi, les mêmes marques de terre que devant moi et à ma gauche, notre ami qui reposait ainsi en silence... lui qui se foutait tellement de la Mort. Je me suis accroupi à la "hauteur du mort"... enfin c'est ce que j'ai ressenti... et ... je ne savais pas. je ne savais pas quoi dire, que faire, s'il fallait que je me relève, s'il fallait que je prie, s'il fallait que je réconforte mon père... j'étais désarmé par une situation que je n'avais jamais connu.

Et nous sommes repartis, silencieux. Avant de partir un rapide coup d'oeil sur le bout de bois... ANDRE RUEL  1953-2006...

 

Sur le chemin du retour, des tombeaux illustrés, nous étions revenus dans la haute-société de Saint-Pierre, là où l'on sait pourquoi on meurt, et où on sait où on a vécu... bien sûr, c'est ironique. On passe rapidement.

Devant moi à deux moments, des pots de fleurs renversés... j'ai eu l'idée de les remettre debout, je ne l'ai pas fait. Mon idée d'alors ? les proches le remettront à sa place, chacun son problème, chacun ses morts. Il ne m'a pas fallu trois secondes pour regretter cette pensée du moment. Pourtant, en y réfléchissant, je regarde autour de moi : ni mon père, ni ma soeur, ni les gens qui sortaient du cimetierre avec nous à ce moment, n'ont eu cette idée... chacun son problème, chacun ses morts, et ce, pour tout le monde. On est absorbé par notre douleur et on ne fait pas attention à ces banalités... pourtant le malheur qui nous ronge est identique, les personnes aimées nous manquent de la même manière, la mort est universelle... l'égoîsme et l'individualité humaine ne connaissent, hélas, pas la frontière de la vie.

 

Nous repassons par le portail. Le silence se rompt soudainement, on discute de la suite de la journée, on pense à appeler telle ou telle personne...

La vie reprend son cours... comme si la mort est enfermée dans ce portail et qu'il n'y avait que dans cette nouvelle ville silencieuse que l'on se devait d'avoir le respect et la pensée pour les personnes aimées et disparues. Mais pour nous, c'était clair, que la journée était finie.