Cela faisait longtemps que je voulais me lancer mais je ne sais jamais où commencer.
Il est des instants dont on ne peut oublier jusqu'à l'odeur.
Il est des mots qui ne meurent jamais et des phrases qui ne cesseront d'être prononcé.
Beaucoup pensent que l'enfer est sur terre. Certains pensent que nous devrions profiter du paradis terrestre. Quelques uns voient en la vie terrestre un purgatoire, un passage conditionnel vers une vie d'absolue, le bonheur ou le malheur. Et tout ceci n'est que mythologie des temps nouveaux, sentiments secrets dont il faut se préserver de la face de notre monde rationnel, de peur d'être raillé...
"On a évolué !" pensons-nous... pourtant le sentiment d'un homme médiéval craintif à l'approche du jugement dernier de l'an mil n'est pas si éloigné que le sentiment, certes moins intense, du fameux bug de l'an 2OOO, voire de notre foi nouvelle dans les nouveaux prédicateurs en cette période. Je ne fournirais aucun exemple particulier mais souvenons-nous du nombre absolument formidables d'inepties que nous avons pu entendre...
Paradis et enfer se conjugent dans le même espace, sur la même surface, dans les mêmes secondes de nos vies, ils fusionnent dans une telle harmonie qu'ils disparaissent à la surface des secondes à la manière d'une goutte de pluie qui n'a nulle origine et nulle destination, qui nait seule et meurt seule, dans l'oubli général.
Certains se disent en général heureux, d'autres préferent se dirent malheureux, voire dépressifs, d'autres ne se posent même plus la question.
Pour ma part, j'ai toujours remercié la vie. J'ai toujours cherché l'aspect positif de ma situation même quand ce ne fût pas d'une évidence folle... Je me considère heureux, gâté, comblé... mais à quel prix.
Charon exigea une place dans mon esprit pour faire demi-tour. Il l'obtint.
Il est des souvenirs qui ne peuvent s'éteindre.
On abat le spectre d'une pensée sournoise et c'est l'hydre qui vous fait face, on pourfend l'hydre, c'est gorgone, elle s'étouffe et voilà Cerbère... Ils renaissent et rejaillissent à la faveur d'une phrase anodine, d'un bruit, d'un son, d'une odeur, d'un nom, d'une colère, d'une image, d'un rire, d'un cri... Et c'est la horde silencieuse qui refait surface attendant, docile, le moment de la faille.
Ce moment où, dans ma marche quotidienne, les milles cicatrices qui étreignent mon corps bouillonnent de douleur et d'effroi... Elles renaissent elles-aussi, surpassant ses soins, déchirant ses coutures, refutant ses efforts, précisant ses plaies, redessinant son dessein... Et de mille chacune enfantent des millions et des millions naîtront les milliards... pour que mon bonheur n'oublit jamais son ombre, que chaque chambre de mon apaisement se souvienne du cimetierre qui repose dans les bas fonds, pour qu' "Ici gissent" son nom, ou le mien...
Voilà la vie et son cortège de maux inutiles sauf peut être, certains le disent, pour "avancer"... avancer et abattre les épreuves... avancer et combattre, souvent... se débattre et s'enfoncer... finalement...
Or, on ne peut combattre ce qu'on ne saisit pas. On ne saisit pas si on s'efforce d'oublier. On ne vivra que si on oublit.
Le sage, pour ceux qui l'ont connu avant sa mort prématurée, m'aurait sûrement conseillé de parler, d'éliminer, d'exorciser... mais à qui mon bon ? à qui ?
Ma famille ? pour enfoncer encore un peu plus le couteau et noircir ce qui n'est déjà que peu éclairé... Dieu sait combien elle a essayé de me conforter... mais elle ne comprendra pas, et même si elle comprenait, elle ne pourrait rien de plus que de participer à ma haine en la détournant, en la déformant.
Mes amis ? alors que je n'arrive pas moi même à définir mon mal, à l'interpréter et le formuler...? ils ne percevront que des mots, des mots mal choisis, limités, résignés par mon handicap à transmettre ce qui m'habite.
Ma douce ? sa vision des évênements est vérité et la mienne est tronquée... Elle a réussi à me convaincre d'une vision que je ne ressent pas. Pour elle, c'est bouclé, pour moi, c'est bâclé. Pourtant, Je lui suis tellement reconnaissant de ces efforts, de son amour et de sa patience mais j'ai souvent la sensation d'être seul à parler; avec un petit écho.
Il me reste l'écriture. J'y purge mes peines, vieux sage, et te rend hommage ainsi. Peut être ces rêves finiront-ils par changer d'objet, enfin... peut être mes flashes me rappelleront-ils quelques moments joyeux, peut être disparaîtra l'amertume.
Je ne sais même plus à qui en vouloir... à une personne ? à l'ensemble ? à moi ? d'avoir été si confiant envers des règles, des valeurs que je croyais pour tous indestructibles, que je placais comme fondement même de l'humanité ? De n'avoir pas compris où je tombais... de n'avoir saisi quel l'objet du destin je devenais... d'avoir pris des illusions de gamins pour la réalité souveraine.
J'ai cru être Tristan et me réveilla Roi, quand je me pensais Figaro, mon célèbre titre me revint en pleine face et j'étais le Comte dans toute son humiliation, j'étais le chevalier qui ne peut se retourner tellement son armure est lourde de préjugé, de confiance et d'illusion... j'ai cru suivre la voie de Méliador pour son Hermondine et je traversais celle de Mme de Montespan, de La Fayette, de Beauharnais, jonché d'intrigue et de surpercherie, de plaisirs égoïstes, de passions passagères. Une piteuse scène de théatre du "mari dans le placard" sans placard, sans mari, sans théatre.
J'ai combattu en espagnol pour Grenade et je suis mort en franc à Ronceveaux.
Le temps et le bonheur de vivre avec le joyaux de mes jours feront certainement disparaitre les sensations et les sentiments les plus violents qui m'envahissent de temps à autres comme le vent d'automne emporte les feuilles mortes (le premier qui dit : "quelle comparaison originalle !" je lui en fous une.) à la surface de l'arbre malade mais les images elles... ont des racines, je le crains, qui prennent leurs sources dans des profondeurs insoupconnables.
Tout cela en était -est- le prix. Le prix d'un autre passage, d'un apprentissage, celui qui m'a fait définitivement quitté le monde de l'enfance. Aujourd'hui, je n'ai de ces valeurs, de cette vision du monde et des personnes, plus que le marbre où elles étaient inscrites. Devrais-je y croire encore ? J'en ai encore envie... je fais encore semblant... mais la horde, toujours la même, me rappelle à son bon souvenir... et il me faut encore choisir, combattre seul contre tous ou me laissait bouffer par le dégoût, la fatalité, le passé...